Limonadiers depuis six générations Les établissements Cazaux de Bélesta sont célèbres dans toute la France, et voire au-delà des frontières de l’hexagone, grâce à la fabrication artisanale de sa célèbre limonade pur sucre faite à partir de l’eau de la source de Fontestorbes.
C’est bien connu, « les femmes font venir les hommes au pays », précise avec un petit accent de titi parisien et un air enjoué Jacques Poiret qui nous accueille à la brasserie. Aujourd’hui à la retraite, il a passé le flambeau depuis une dizaine d’années à son gendre Christian Cazaud. Il faut savoir que dans cette entreprise familiale, depuis 1885, les héritières ont toujours été des filles et elles ont transmis leur secret de fabrication en se mariant à ces messieurs appelés gentiment par les autochtones du coin « Monsieur Gendre »: ainsi, successivement et chronologiquement, depuis 1885, les Etablissements Roubichou, Albarel, Feuillerat, Sableaux, Poiret et aujourd’hui Cazaud font de la limonade une spécialité locale, appréciée de tous.
Il faut bien dire que l’eau de la source de Fontestorbes y est pour quelque chose. Déjà mentionnée par les romains et notamment par Pline dans son « Histoire naturelle », elle était « une des neuf muses des Pyrénées » selon Guillaume Salleste de Bartas au XVIe siècle. La forte alcalinité de cette eau résulte de son itinéraire depuis le plateau de Sault, de résurgences en galeries souterraines, elle traverse des nappes calcaires accumulées au crétacé pour jaillir à la fontaine intermittente de Fontestorbes. « Cette eau calcaire accroche au palais, précise en expert Jacques Poiret, et le résultat ne serait pas le même avec les eaux des sources phréatiques que l’on trouve dans le commerce, elles sont beaucoup trop fades».
La fabrication de la limonade repose sur la réalisation d’un sirop à base de sucre, d’acide tartrique (agissant en tant que conservateur) et d’acide citrique pour le goût. On le laisse reposer dans le malaxeur une nuit avant d’y incorporer l’essence naturelle de citron (très volatile par définition) et le gaz carbonique. Le sirop ainsi reposé prend un ou deux degrés baumés (il prend de la densité): c’est avec un saturateur datant de 1896 et une tireuse de 1930 que l’on procède ici… de véritables pièces de musée !
Si les aïeux de Monsieur Poiret ont longtemps travaillé à l’exportation avec l’Algérie ou le Maroc, en acheminant les bouteilles par Port-Vendres ou Sète, actuellement la production, soit cent mille bouteilles par an, est essentiellement destinée au circuit des petites épiceries et des particuliers (pour un tiers). A la différence des limonades industrielles en bouteilles plastiques que l’on trouve dans les grandes surfaces, la limonade de la source de Fontestorbes est reconnaissable à sa bouteille de verre à bouchon mécanique en porcelaine. « Mais il faut se battre actuellement pour trouver des bouteilles de verre de 1 litre ajoute Monsieur Poiret. Ces bouteilles ne sont plus rentables et les fabricants ne réalisent plus que des 75cl. Aussi quand il nous arrive d’en acheter un stock, il s’agit souvent de celui d’un confrère qui cesse son activité ici ou là en France et qui brade son matériel ». Précisons que ces précieuses bouteilles sont consignées.
Mais il est bien loin le temps où le petit village de Bélesta comptait sept fabricants de limonade. La concurrence avec les sodas industriels fait rage et la production artisanale locale s’en voit menacée. Aussi Monsieur Poiret évoque sa limonade avec nostalgie : « j’ai bien une petite fille pour prendre la succession mais les normes européennes sont telles qu’il n’y aura bientôt plus de place pour notre production ». Heureusement il y a encore la tradition et l’amour du travail bien fait pour le plus grand plaisir des consommateurs…
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